Bonjour,
Je m'appelle M. j'ai 32 ans et je suis fils d'un alcoolique. Je suis donc un peu vieux pour venir témoigner ici, mais après avoir lu quelques témoignages de plus jeunes que moi subissant ce problème, j'ai eu envie de les appuyer de mon expérience pour mettre en garde du danger qui attend ceux qui pensent qu'ils seront assez forts pour passer par pertes et profits toutes leurs souffrances une fois arrivé à l'âge adulte. C'est possible, mais c'est "dangereux"...
Je ne peux que constater que finalement tout le monde vit la même galère et cherche à s'en sortir d'une manière ou d'une autre. Ce n'est pas par hasard je pense que beaucoup d'entre nous se retrouvent dans le rôle et dans le monde des adultes pendant que les autres sont dans le monde "normal".
Pour ceux qui ont la force de résister, aucun signe extérieur n'est forcément visible. Dans mon cas, alors que mon grand frère a connu l'échec scolaire à l'adolescence, j'ai poursuivi un parcours exemplaire, tellement parfait que personne ne s'est inquiété de quoi que ce soit en ce qui me concerne. Je dois bien admettre que cela m'arrangeais bien, sur le moment, car j'avais honte de mon père, aucune envie d'attirer la "pitié" sur moi.
Bien au contraire, j'étais bien motivé à utiliser ces bons résultats pour fonder à mon tour une famille qui elle serait exemplaire, et avoir une vie en conséquence. C'était très illusoire en fait, quand j'y repense maintenant. Malheureusement, j'ai peur de ne pas être un cas unique et que d'autres enfants d'alcooliques soient eux aussi dans ce même schéma, qui me semblait la voie idéale pour sortir "valorisé" de cette enfance particulière.
Malheureusement, je dis, car il faut bien avouer que ça a complètement foiré... enfin, en tout cas ça a été la grosse galère après et il a fallu remonter la pente. Et surtout je pense que ça aurait pu bien mieux se passer si j'avais su demander de l'aide à l'extérieur, c'est pour ça que je laisse ce message ici.
Puisque je l'ai vécu, je sais que c'est pas facile de trouver quelqu'un à qui en parler (en dehors de la famille qui partage cette situation, et encore...). Après tout, on sait qu'on a rien fait de mal, qu'on choisit pas sa famille, et on se dit que ça ira mieux après quand on sera parti de la maison, et qu'on aura pu couper les liens.
Même si c'est difficile, à partir de l'adolescence je pense que c'est possible, déjà ici sur ce forum, mais aussi en trouvant un, peut-être deux voire trois amis dignes de confiance que vous pensez être prêts à vous écouter.
Vous pouvez aussi tenter d'en parler à l'école avec un prof ou autre si vous le pensez là aussi digne de confiance pour pouvoir vous aider. La plupart du temps, si vous y réfléchissez bien, même si vous avez peur, vous n'avez vraiment pas grand chose à y perdre. A la limite il faudrait juste pas que si vous tombiez sur la mauvaise personne, ça vous dégoûte d'en chercher une autre qui elle saura vous écouter.
Dans le cas contraire, vous allez devoir trainer ça à l'âge adulte, et là comme il y a déjà eu un témoignage dans ce sens, je peux vous dire que ça ne s'est pas passé aussi facilement que prévu.
Dès que j'ai pu, à l'âge de 18 ans, j'ai quitté le foyer familial où mon père vivait encore avec ma mère et mon frère. J'étais aux études et je pensais que tout cela allait disparaitre de mon esprit. Pourtant passé mes 20 ans j'ai rencontré de gros problèmes personnels car j'avais une très mauvaise estime de moi. Je ne prenais plus soin de moi, j'étais démotivé pour tout, et pour la première fois je commençais à être en échec dans mes études. Du côté de mon père les choses ont également empiré.
J'ai réalisé que mon père était alcoolique quand j'avais 13 ans environ. Pendant des vacances qui avaient bien débuté, il a suffit d'une simple contrariété à mon père pour se mettre dans un état lamentable. Pour la première fois je m'étais interposé en l'empêchant d'aller chercher sa nouvelle bouteille et je lançait un "mais pourquoi avec toi il faut toujours que les choses soient toujours si dramatiques"... je pense que toutes les personnes concernées pourront s'identifier.
J'ai constaté l'évolution de la maladie et il cessait petit à petit d'exister en tant que père pour moi, remplacé par une ombre dont je ne voulais plus rien savoir, sans oser me l'avouer. Il buvait de plus en plus. Il avait des problèmes au travail. Il devenait incohérent. Il me posait cinq fois la même question dans la journée, etc.
Il était dans un déni total, il devenait violent verbalement et méprisant envers quiconque osait ne serait-ce qu'effleurer l'idée qu'il puisse avoir le soupçon du moindre début de problème avec l'alcool. Que cela vienne de l'extérieur ou de l'intérieur, c'était un échec.
Quelques années plus tard, il faisait une cirrhose du foie. Quand il était aux urgences c'était assez étrange, car on pensait tous que cela l'obligerait au moins à sortir de son déni pour commencer à se soigner.
Mais déjà quatre semaines plus tard, nous commençions à déchanter. Il n'admettait plus qu'il avait de problème avec l'alcool, encore moins être alcoolique et donc malade. Il se moquait ouvertement des médecins, des psy etc. Il prétendait avoir complètement arrêté l'alcool.
Je n'y croyais pas une seule seconde, mais j'étais le seul. Et j'enrageais d'être le seul à ne pas y croire. Les autres dans la famille y croyaient (ou semblaient y croire et le faisaient savoir), alors que je n'y croyais pas une seule seconde. Mais par respect (envers qui ?), je n'ai rien osé dire, j'ai laissé dire, et j'ai laissé faire.
En plus, tout le monde croyait à sa guérison, parlait de greffe, que ce n'était finalement peut être pas si grave... et là aussi je n'y croyais pas une seule seconde. Le soir même où j'ai appris pour sa cirrhose, je tapais cela dans Wikipédia pour y trouver une information assez simple: 95% de mortalité au delà de 5 ans. Pour moi, c'était clair.
Mais aussi étrange que cela puisse paraitre à certain, j'avais une drôle de relation avec l'idée de voir mon père mourir. D'un côté, ça serait irrespectueux et totalement exagéré de dire que j'attendais de le voir mourir, mais d'un autre côté, cela refléterait enfin vis-à-vis de l'extérieur le fait que je n'avais plus de père... ce qui était pour moi acquis depuis de longues années déjà, et je souffrais du fait que personne ne puisse le percevoir, le comprendre, le reconnaitre.
La force de son déni dépassait l'entendement. Comme je l'avais toujours pensé, il a continué l'alcool après sa cirrhose. J'avais de bonnes raison d'avoir des doutes, et j'en ai eu la certitude lorsqu'un matin, après avoir passé la nuit sous le même toit, je me suis servi un verre de jus d'orange vers 8h du matin. Par mégarde, j'ai pris son verre au lieu du mien quelques minutes plus tard, et mon jus d'orange s'était transformé en vodka-orange par un étrange phénomène.
A partir de là, je ne me suis même plus donné la peine de faire semblant lorsque les autres dans la famille continuaient de croire à ses salades. Mais je ne veux pas trop dire de mal de lui non plus, il avait un bon fond. Tout de même, un tel déni, c'était monumental.
Finalement, à force de s'entêter et de continuer à boire, on finissait par l'amener aux urgences de plus en plus souvent, il ne pouvait plus conduire et il devait bien s'en rendre compte. C'était lamentable car je n'avais plus la force de le voir plus que quelques fois par année, même au téléphone j'essayais de l'éviter.
Il allait faire vider son ascite à l'hôpital toutes les 3 ou 4 semaines quand ça lui faisait trop mal. Les urgences, c'était pour l'oesophage quand il vomissait du sang.
Couché sur une civière dans un box des urgences, je lui tendais la main. Il me regardait avec ses yeux jaunes, je m'étais presque habitué à son ictère depuis le temps. Je savais qu'il allait mourir, mais ironiquement, la seule chose qui semblait importer pour lui à ce moment, c'est de se rassurer sur le fait que je ne le voit pas comme un alcoolique. Il me racontait encore une enième salade sur le fait que sa cirrhose ne venait pas de cela en fait etc. etc. C'était complètement lamentable, mais je lui pardonnais.
Finalement, le jour de sa mort, j'étais soulagé. J'étais simplement venu pour les formalités, sa soeur avait fait l'essentiel. Lors de son enterrement, je n'ai pas pris la parole, et je n'ai pas échangé un mot en dehors des "merci" en réponse aux "toutes-mes-condoléances" de la part de gens que je ne connaissais même pas pour la plupart.
Peu après, je passais avec mon frère pour vider sa cave, dans laquelle devaient se trouver pas loin d'un millier de cadavres de bouteilles, parfois vides, parfois pleines et - pour notre plus grand bonheur - parfois à moitié vides (ou pleines, c'est selon). On a presque fini par en rire, à se demander comment une personne dans un état comme le sien avait encore réussi à boire autant.
Aujourd'hui, croyez-le ou non, je ne me souviens pas de la date de la mort de mon père. Je ne suis jamais retourné sur sa tombe, mais cela viendra, quand j'irai mieux... et je prendrai note de la date ;)
Ce que je sais, c'est que de vouloir faire abstraction de cela comme si cela n'avait jamais existé en construisant son idéal à la place, c'est un plan qui parait séduisant, mais qui ne marche pas forcément bien ensuite.
En allant chercher de l'aide à l'extérieur avant qu'il ne soit trop tard, on ne devrait pas plus culpabiliser davantage que celui qui appelle les pompiers après avoir vu son père ou sa mère lutter contre un début d'incendie sans y parvenir. C'est tout simplement la bonne chose à faire pour éviter de se faire brûler dans quelque chose qui nous dépasse, et mettra de longues années avant de pouvoir cicatriser.
Rien que d'en parler en dehors de la famille, ici et ailleurs, c'est déjà un bon début à mon avis. J'espère que ce message aura pu être utile à au moins l'une ou l'un d'entre vous et je vous souhaite à tous beaucoup de courage.
M.H.
PS: un grand merci à l'équipe de ce site pour leur travail. J'aurais voulu tomber sur un site comme celui-ci pendant mon enfance, et j'espère qu'il viendra en aide au plus grand nombre. C'est bien dommage qu'il faille chercher pour le trouver et qu'il ne soit pas plus médiatisé - d'ailleurs, à quand une pub pour votre site sur les bouteilles... ABE!